NeuropsychoJolly (roger)

Le problème et son intérêt

En vert, c'est pour les autodidactes en herbe, les pros peuvent sauter; en noir, c'est pour les pros et ceux qui ont lu le vert; enfin, en mauve, mes remarques perso hors-pistes. En italique, ce sont des exemples concrets. Des liens hypertextes vous renvoient au glossaire ou à d'autres pages qui expliquent les termes.
Utilisez l'espace commentaire pour me demander d'éclaircir, de préciser... des points précis.


Si vous n'aviez pas de cerveau, vous ne seriez pas en train de lire ces pages.


Cette petite phrase est un moyen simple d'introduire ma question de départ :
"Comment 1,5 kg de matière biologique font-ils pour nous permettre d'aller sur internet, de lire, d'aimer, d'avoir peur, de résoudre des problèmes... ?"

Le cerveau est constitué d'environ 10 milliards de cellules "nerveuses" : les neurones. Ces neurones sont regroupés en sous-ensembles : les structures cérébrales. Chaque structure cérébrale possède une architecture particulière qui peut être très organisée (l'hippocampe), ou apparaître en désordre (hypothalamus). Ces structures sont connectées les unes aux autres et communiquent grâce à des signaux chimiques et électriques.

Durant de nombreuses années on a supposé que les structures étaient spécialisées dans certaines fonctions : l'hippocampe pour la mémoire, l'aire de Broca pour le langage, le cortex visuel pour la vision...
Ce point de vue était supporté par deux approches :
- l'approche par "corrélation" : lorsque j'effectue une tâche, telle structure s'active.
- les données lésionnelles : lorsque telle structure est lésée, telle fonction est perturbée.
Si nous obtenons le couple "tâche A => activation de X et lésion de X => perturbation de la tâche A" alors on considère que la structure X est (au moins en partie) responsable de la résolution de la tâche A.

Les stratégies thérapeutiques actuelles sont pour la plupart basées sur ce postulat.
Certains symptômes de la maladie de Parkinson sont dus à un dysfonctionnement dans le
striatum (cf troisième étape). Le moyen d'action des traitements actuels est de pallier ce déficit  soit par voie pharmacologique (médicaments) soit par stimulations intracérébrales (moyen encore très peu utilisé).
La logique est toujours : "cette structure fonctionne mal (ou est lésée) donc je tente d'améliorer son fonctionnement ou de la remplacer. Dans tous les cas, on est dans une politique de "réparation" de ce qui existe ou d'échange standard.

Depuis quelques années, de rares publications ont présenté des résultats intrigants : la lésion d'une structure A perturbe la fonction X; la lésion d'une structure B perturbe également la fonction X. Mais si on lèse la structure A et la structure B, la fonction X n'est plus perturbée.
Prenez une voiture en état de fonctionnement. Sortez le carburateur : elle n'avance plus. Remettez-le et sortez les bougies : elle n'avance plus. Sortez les bougies et le carburateur : elle se remet à marcher. Pour les voitures, vous n'obtiendrez jamais ce résultat, alors que pour le cerveau, ce type de résultat est rare mais peut arriver.

Ce type de résultat reste surprenant. Il a été qualifié de "paradoxal".
Mais évidemment, un phénomène "paradoxal"
ne révèle jamais une erreur de la nature. S'il est isolé, il révèle peut-être une erreur méthodologique, mais s'il se reproduit, c'est qu'il faut remettre les théories en question.

L'intérêt de ces lésions cumulées à effet paradoxal est double :
- elles démontrent qu'il existe un moyen de récupérer une fonction (que l'on croyait perdue) par une méthode qui n'est ni l'échange standard, ni la réparation par "rafistolage",
- elles démontrent également qu'un progrès doit, et peut être fait sur le plan théorique (conception du fonctionnement cérébral) pour comprendre ce phénomène.
Même s'il reste impensable de se mettre à faire des lésions cérébrales pour améliorer l'état des cérébro-lésés, un tel progrès permettrait d'envisager des pistes thérapeutiques vraiment nouvelles, car basées sur une conception plus réaliste du fonctionnement cérébral.
Un aspect motivant de ce type de recherche est que recherche fondamentale et recherche appliquée apparaissent comme indissociables. La recherche fondamentale est nécessaire pour explorer ces nouvelles pistes thérapeutiques que seule la nature connaît pour le moment. En retour, l'efficacité des applications possibles serait une validation de ces théories.

Nous arrivons au problème :
Quel est le mode de fonctionnement qui permet au cerveau de générer des fonctions cognitives et de rendre compte du phénomène de lésions cumulées à effet paradoxal ?

NB à l'attention des étudiants : Il s'agit d'un problème qui focalise une grande partie de mes travaux de recherche depuis plusieurs années et pour plusieurs années. Dans la pratique, résoudre ce problème nécessite de se fixer un plan (un itinéraire précis par lequel il faut passer). On va donc être amené à passer par des étapes intermédiaires, par des problèmes intermédiaires. Un mémoire de master 1 ou 2 correspond schématiquement à la résolution d'un de ces problèmes intermédiaires.
Mais comme on le verra dans la page suivante, même le problème posé ci-dessus donne lieu à des hypothèses.



Bibliographie commentée


Le premier article (connu) décrivant des lésions cumulées à effet paradoxal :
Sprague JM (1966) Interaction of cortex and superior colliculus in mediation of visually guided behavior in the cat. Science. 153(743):1544-7.

Un bel article montrant ce phénomène chez l'homme :
Vuilleumier P et al. (1996) Unilateral spatial neglect recovery after sequential strokes. Neurology. 46:184-9.
D'autres ont également décrit des lésions à effets bénéfiques ou des lésions cumulées à effet inattendu, mais dans chaque cas, une explication satisfaisante pouvait être apportée sans remettre en question les théories existantes.

L'article le plus "spectaculaire" montrant un effet paradoxal après lésions de 7 structures :
Irle E (1985) Combined lesions of septum, amygdala, hippocampus, anterior thalamus, mamillary bodies and cingulate and subicular cortex fail to impair the acquisition of complex learning tasks. Exp Brain Res. 58(2):346-61.

Et un article de synthèse présentant une bibliographie plus large :
Kapur N (1996) Paradoxical functional facilitation in brain-behaviour research. A critical review. Brain 119:1775-90.


 
Page suivante : Notre hypothèse sur le fonctionnement cérébral




26/01/2009
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